La Nudité Arabe – Amateur D'Art
Bien plus intéressante, car évitant les codes et les propos ordinaires, est l'installation de Ghazel dans la salle de spectacle du dernier étage, plongée dans l'obscurité. À son habitude, sur deux fois trois écrans, sa figure muette enveloppée d'un tchador performe des petites scènes absurdes, drôles et tragiques à la fois, comme un alphabet. Pour nous Occidentaux, ces voiles évoquent aussi les nonnes de notre enfance. Chez Ghazel, le voile n'est pas seulement aliénation, objet de critique ou de mépris stéréotypés, c'est aussi un formidable outil plastique, comme la canne de Charlot ou le chapeau de Buster Keaton. La nudité arabe – Amateur d'art. Enfin, sous les ors du grandiose Salon Honnorat, avait lieu un défilé de mode VIP (Voile Islamique Parisien) organisé par l'artiste marocaine Majida Khattari. Devant des spectateurs sagement assis sur leurs chaises, comme dans toute maison de couture qui se respecte, défilaient une dizaine de modèles: certaines (certains, à en juger par leurs pieds) couverts de voiles lourds, débordants, ornés, extravagants, en devenaient invisibles, hiératiques, comme des statues en mouvement.
La Nudité Arabe – Amateur D'Art
Mourad Salem, Open your eyes, 2002 Les salles du fond ('non recommandées aux juniors') sont un délice car elles montrent l'irreprésentable, l'origine du monde arabe (commande d'un Ottoman d'Egypte, rappelons-le), de manière subtile, drôle ou poignante. On y retrouve les broderies de vulves aux riches étoffes de Lamia Ziadé, les terrifiantes compositions érotiques de Laila Muraywid et cette injonction de Mourad Salem, ' Open your eyes ' devant une fleur-clitoris géante bien plus engageante que celles de Georgia O'Keeffe. Oui, il est temps d'ouvrir les yeux… Adel Abidin, Ping-pong, 2009 Adel Abidin, Ping pong, 2009 Pour conclure, nul n'oubliera cette vidéo sur grand écran d' Adel Abidin où deux joueurs de Ping-Pong jouent un match acharné devant trois juges impassibles dans la pénombre: le filet est une femme nue, rousse plantureuse à la peau laiteuse, moderne odalisque nonchalamment allongée sur la table. Elle frémit chaque fois que la balle l'effleure et son corps se couvre de tavelures rondes et rosées comme des aréoles, empreintes sur son corps de la rage maladroite des joueurs.
A la même époque (mais à l'autre étage) la photographie se répand dans toute la région, principalement sous l'impulsion d'Arméniens, et la Fondation Arabe pour l'Image présente ici une partie de son immense collection, avec force athlètes et danseuses plus ou moins dévêtues, là encore avec une charge érotique forte, mais encore discrète. Les écoles d'art se créent: 1908 au Caire, 1923 à Tunis, mais seulement 1950 à Casablanca (et celle d'Alger, créée en 1883, n'accepte que des Européens jusqu'en 1920…), permettant peu à peu une émancipation de la vison esthétique coloniale complémentant le 'Grand Tour' des artistes arabes en Europe. Majida Khattari, ST, série Les Parisiennes, 2008/2009 Mais c'est la période contemporaine qui permet aux artistes arabes, enfin émancipés, de dévoiler les corps, d'affirmer leur érotisme (hétéro ou, assez souvent ici, homo) et de faire exploser les tabous. Dès la première salle, face aux nus très classiques de Georges Daoud Corm, peintre libanais des années 1920, la photographe Majida Khattari inverse les rôles: ce n'est plus le peintre homme qui se délecte de son modèle nue, c'est la femme photographe qui dénude et dévoile (au sens propre) ses Parisiennes.